# Le Lien Social et le Maintien à Domicile au Sénégal : Piliers d’une Société Solidaire
Le maintien à domicile des personnes âgées et vulnérables au Sénégal repose fondamentalement sur la force du lien social, un pilier culturel qui s’érode progressivement face à l’urbanisation et aux mutations sociétales, nécessitant des approches innovantes pour préserver cette tradition d’entraide communautaire.
## L’importance du lien social dans la culture sénégalaise
Dans la société sénégalaise traditionnelle, la prise en charge des personnes âgées ou vulnérables n’a jamais constitué un dilemme. La famille élargie, socle de la société, assumait naturellement cette responsabilité dans un système où la solidarité intergénérationnelle formait l’ossature du fonctionnement communautaire. Le “ndèye-dické” (parenté à plaisanterie) et le “teranga” (hospitalité) ne sont pas de simples concepts mais des pratiques quotidiennes qui cimentent les relations sociales.
Au Sénégal, les statistiques de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) indiquent que plus de 95% des personnes âgées vivent au sein de leur famille. Cette réalité contraste fortement avec les pays occidentaux où l’institutionnalisation est davantage répandue. Cette différence fondamentale s’explique par une conception différente de la vieillesse et de la vulnérabilité.
Comme l’explique Fatou Sow Sarr, sociologue sénégalaise: “La personne âgée n’est pas perçue comme un fardeau mais comme un trésor de sagesse dont la présence bénéficie à l’ensemble de la communauté.” Cette vision valorisante constitue le socle du maintien à domicile dans le contexte sénégalais.
## Les défis contemporains du maintien à domicile au Sénégal
Malgré cette forte tradition de solidarité, le Sénégal fait face à des mutations socio-économiques qui fragilisent progressivement ce système:
**L’urbanisation galopante**: Dakar, qui concentre près de 23% de la population nationale selon l’ANSD, voit ses habitants confrontés à des logements exigus peu adaptés à la cohabitation intergénérationnelle.
**L’exode rural et l’émigration**: Les jeunes quittent massivement les zones rurales, créant des vides dans le maillage social traditionnel. L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) estime que plus de 500 000 Sénégalais vivent à l’étranger, principalement des actifs qui traditionnellement auraient pris en charge leurs aînés.
**La précarité économique**: Avec un taux de pauvreté de 37,8% selon la Banque Mondiale (2018), de nombreuses familles luttent pour leur propre survie avant de pouvoir s’occuper adéquatement de leurs membres vulnérables.
**La transition épidémiologique**: L’émergence des maladies non transmissibles (diabète, hypertension, cancer) nécessite des soins spécialisés que les aidants familiaux ne peuvent pas toujours prodiguer.
Abdoulaye Diop, habitant de Thiès, témoigne: “Mon père souffre d’Alzheimer. Nous l’avons gardé à la maison, mais c’est devenu difficile car nous travaillons tous. Pourtant, l’envoyer en institution serait perçu comme un abandon.”
## Les initiatives locales de renforcement du lien social
Face à ces défis, diverses initiatives émergent pour adapter le modèle traditionnel de solidarité aux réalités contemporaines:
**Les associations de quartier**: Dans plusieurs villes comme Saint-Louis ou Ziguinchor, des “Associations pour le Bien-être des Aînés” organisent des visites régulières aux personnes âgées isolées.
**Les “Badienou Gokh”**: Ces marraines de quartier, initialement dédiées à la santé maternelle et infantile, étendent progressivement leur action aux personnes âgées dans plusieurs régions du pays.
**Les réseaux d’entraide numérique**: Des applications comme “Sama Vieux” (lancée en 2019 à Dakar) mettent en relation des bénévoles avec des personnes âgées nécessitant une assistance ponctuelle.
**Les journées intergénérationnelles**: Instituées dans certaines communes comme Rufisque ou Thiès, elles favorisent la transmission des savoirs et le renforcement des liens entre générations.
L’Association Sénégalaise de Soutien aux Aînés (ASSA) a développé un modèle hybride particulièrement intéressant. “Nous formons des auxiliaires de vie issus des communautés locales pour offrir un soutien professionnel tout en respectant les valeurs familiales traditionnelles,” explique Marième Fall, sa présidente.
## Le rôle crucial des aidants familiaux
Au cœur du système de maintien à domicile sénégalais se trouvent les aidants familiaux, majoritairement des femmes. Leur contribution, bien que fondamentale, reste largement invisible et non quantifiée dans les statistiques nationales.
Une étude menée par l’Université Cheikh Anta Diop en 2020 auprès de 500 aidants familiaux à Dakar révèle que:
– 78% sont des femmes
– 65% consacrent plus de 30 heures par semaine à cette aide
– 82% déclarent que cette responsabilité impacte leur vie professionnelle
– 91% n’ont reçu aucune formation spécifique
Fatou Ndiaye, 42 ans, qui s’occupe de sa mère atteinte de démence tout en travaillant comme enseignante, témoigne: “C’est un honneur de prendre soin de ma mère qui a tout sacrifié pour moi, mais je me sens parfois dépassée par certaines situations médicales.”
## L’apport des nouvelles technologies dans le maintien du lien social
La révolution numérique offre des opportunités inédites pour renforcer le lien social et faciliter le maintien à domicile:
**La télémédecine**: Des plateformes comme “SunuDoc” permettent des consultations à distance, particulièrement précieuses dans les zones rurales où l’accès aux spécialistes est limité.
**Les systèmes d’alerte**: Des startups sénégalaises développent des dispositifs adaptés aux réalités locales, comme des boutons d’alerte fonctionnant sans connexion internet permanente.
**Les réseaux sociaux**: Malgré la fracture numérique, WhatsApp est devenu un outil essentiel pour maintenir le lien familial à distance. Selon l’ARTP (Autorité de Régulation des Télécommunications), 58% des Sénégalais sont connectés à internet en 2021.
**Les plateformes d’entraide communautaire**: Des initiatives comme “Jokko” mettent en relation des personnes ayant besoin d’aide avec des voisins disponibles.
Le programme “Sunu Seniors Digital” lancé à Dakar en 2021 forme les personnes âgées à l’utilisation des outils numériques. “Nous avons constaté une réduction significative du sentiment d’isolement chez les participants,” affirme Ousmane Seck, coordinateur du programme.
## Comparaison avec d’autres modèles africains et occidentaux
La situation sénégalaise s’inscrit dans un contexte africain où le maintien à domicile reste prédominant, mais avec des nuances importantes:
**Au Maroc**, le programme national “Entraide Familiale” offre une allocation mensuelle aux familles prenant en charge une personne âgée dépendante, un modèle qui pour
